Lettre B
1. « Bien évidemment » (voir évidemment)
En particulier sur les chaînes TV, le mot « évidemment » (ou « bien évidemment ») est prononcé toutes les deux ou trois phrases. Concurremment avec « notamment », problématique, stratégique, symbolique, etc. La plupart du temps, cela n’aucun rapport avec la moindre évidence. L’évidence est ce qui est certain. En anglais c’est la « preuve ». Donc l’employer à tout bout de champ, c’et transformer l’évidence en un signe de ponctuation, qui trahit surtout l’illettrisme de celui qui l’emploie. Il se peut aussi qu’il soit employé à contre-sens : devient « évident » ce dont on ne sait pas grand-chose ou qu’on n’est pas capable de qualifier de manière plus précise.
2. « Bobo »
Une sous-espèce d’homo sapiens qui, parait-il, vit de manière bohème (sans domicile fixe) tout en jouissant d’une confortable aisance matérielle et culturelle (bourgeois). En réalité c’est ce que s’attribuent, avec une complaisance plutôt stupide, de gens qui ne sont ni bohèmes (sinon par une tenue vestimentaire « décontractée » et la conduite de voitures 4X4 avec lesquelles ils s’imaginent pouvoir traverser le Sahara ou des sentiers boueux) ni bourgeois (car ils n’ont pas les moyens de s’offrir les domestiques et d’exhiber le train de vie des vrais bourgeois). Traiter des gens de « bobo » en croyant stigmatiser une classe sociale particulière c’est parler d’un ensemble vide. Il paraît pourtant que l'Obs est un hebdo de bobos.
3. Bonheur (« que du »)
Se dit pour exprimer une satisfaction aussi limitée que celle de boire un bon café, de manger des fraises, de regarder un match de football. Cela sous-entend l’idée du « meilleur des mondes » où le bonheur consiste à avaler des pilules euphorisantes et à régurgiter des formules toutes faites, par exemple : « que du bonheur ».
Notons que personne ne dit encore « bonheureuse - ou bienheureuse – année », mais « bonne et heureuse année » ou « bonheureuse journée » mais « bonjour », ce qui n’est déjà pas si mal.
4. « Bonjour » = je vous souhaite une bonne journée ou un bon jour
Est devenu, dans les grandes surfaces (de vente de marchandises au détail), dans les transports en commun et aux guichets administratifs, un mot de passe obligatoire, sinon la conversation ne peut pas démarrer. Toute autre formule de politesse : « excusez-moi j’aimerais savoir si », « s'il vous plait pouvez-vous de dire si », ou de manifestation de sympathie : « je suppose que vous crevez de chaud derrière votre comptoir » ou « quelle patience vous avez avec ce client mal embouché » - entraîne presque toujours un Blocage Mental Instantané (BMI), par suite de l’implantation d’un ordre automatique : « vous devez dire bonjour au client » ou « vous devez répondre bonjour au client qui vous a dit bonjour ». Bref, un employé auquel on n’a pas dit ou répondu « bonjour » se croit gravement offensé ou feint de l'être.
5. « Bonjour à vous », « bonne après-midi à vous », « merci à vous », etc.
Parfois employé en réponse à quelqu'un qui vous dit « bonjour » ou « merci », parfois directement.
Comme si l'interlocuteur ne savait pas qu'il est ce « vous » auquel on s'adresse. Dans l'antiquité (avant l’an 2000) on disait : « bonjour » (sans rien ajouter) ou « de même » (déjà très élaboré), voire « bonne journée à vous aussi ». Et on disait « je vous en prie » en réponse à un merci, ce qui voulait dire : inutile de me remercier, j'ai agi conformément au bon usage, aux règles, etc. Le plus bizarre est lorsque quelqu'un commence à dire : « merci à vous » alors qu'il est le premier à parler. Et on entend ça toute la journée à la télé (vision) et à la radio (diffusion) ! Le ridicule de la chose saute aux yeux quand on se rend compte que personne ne dit : « bonjour à toi » ou « merci à toi ». Ce qui fait que « à vous » est devenu une marque de politesse, comme si « merci » ou « bonjour » n’en était plus.
6. "Bouger les lignes" (faire)
Agir en sorte que des changements minimes ou importants aient lieu dans telle ou telle politique publique ou système de décision. On peut supposer qu'il s'agit des lignes de conduite, mais l'origine de cette expression est inconnue.
Pour une étude plus fouillée : http://philosophie.blogs.liberation.fr/2008/12/12/faire-bouger-le/ Dont voici un extrait : « Finalement, ce que notre expression traduit, c’est une gêne. Gêne de quelqu’un qui ne veut pas avoir le triomphe immodeste, de quelqu’un d’autre qui ne veut ni ne peut pleinement applaudir. « Faire bouger les lignes » est une cote mal taillée entre réalisme pragmatique, satisfaction qui joue la modestie, opposition à qui on a coupé l’herbe sous le pied. Signe des temps ? « Faire bouger les lignes » correspond bien à un moment où les lignes de partage ne sont plus nettes, où précisément les lignes ont bougé : le temps de la « ligne générale », où il fallait « être dans la ligne » est passé. On s’y embrouille un peu, dans toutes ces lignes… » (François Noudelmann)