top of page

Lettre D

1. Déconstruction

Terme du bâtiment, qui signifie qu’au lieu de détruire sans précaution, on désassemble - si c’est possible - un édifice pour en réemployer les éléments. On peut en faire autant avec des véhicules automobiles, des montres, des ordinateurs, etc., en sorte que leurs pièces retrouvent une « seconde vie ». En philosophie - et plus largement avec l’étude des textes en tout genre - cela signifie qu’on cherche à « démonter » un raisonnement, une phraséologie, afin de connaître les intentions cachées (volontairement ou non) par un auteur. Cette approche des textes, qui vise à les « dévoiler » a été développée par Heidegger (sous le terme de destruktion), lequel passa sa vie à déceler les « supercheries » des autres penseurs, tous inauthentiques parce qu’ils n’ont pas su aller jusqu’à l’Être, une entité métaphysique dépourvue de toute réalité. Derrida - qui parle de Heidegger comme son « contre-maître » (il adore ce genre de mots d’esprit plutôt faciles) - a remplacé la « destruktion » par la « déconstruction », en faisant de cette manière d’analyser le modèle de toute lecture savante d’un texte. Il peut ainsi jongler avec les mots, sans fin, et faire passer cet exercice pour une pensée profonde, qui ne cesse d’interroger. C’est un peu comme remuer de la vase, puis se rendre compte que l’eau est trouble.


2. Développement

On a longtemps parlé des pays sous-développés, pour indiquer leur « retard » par rapport aux pays développés, sachant qu'être développé c'était être riche et sous-développé pauvre. Ce qui impliquait la faiblesse des infrastructures, le peu d'industrialisation, une administration défaillante, et d'autres défauts majeurs. A part quelques tiers-mondistes (selon l'expression d'Alfred Sauvy qui en parlait comme du Tiers-État) qui décrivaient le sous-développement comme un effet de l'emprise des pays « développés » sur les autres, il était clair que ces pays étaient « en retard » sur la route du progrès. La novlangue a remplacé les pays sous-développés par les pays « en voie de développement », puis « en développement » (sans plus) par opposition aux pays « développés » qui sont, par exemple en Amérique, les États-Unis et le Canada, à l’exclusion des autres pays d’Amérique. Curieusement, le degré de violence, le niveau de censure, les arrestations arbitraires, les inégalités sociales et territoriales ne comptent pas pour définir le développement d'un pays.


3. Développement durable (soutenable)

Celui-ci doit pallier les défauts du développement tout court, puisque celui-ci est trop quantitatif et ne tient aucun compte des milieux au sein desquels l'humanité se "développe". De l'expression développement durable (en anglais : sustenable), a été tirée une soi-disant théorie de l'équilibre entre trois "piliers" (ou pôles) : économique, social et environnemental. Le rapport à l'ONU Notre avenir à tous (dit rapport Brundtland, 1987) précisait (sans parler de "piliers") : « Le développement durable est un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. » Le moins qu'on puisse dire est que cette définition a été largement oubliée et bon nombre d'écologistes ne parlent que de « protection de l'environnement », de « sauver la planète », sans la moindre réflexion sociologique et technologique.


4. Développement personnel

Pour qui a l'habitude de fréquenter les rayons de librairies telles que celles de la FNAC, il s'est passé une notable déformation : la surface d'exposition des livres de « développement personnel » a triplé ou quadruplé (en 20 ans) alors que celle des livres de sciences humaines et de philosophie a diminué des trois-quarts. Pourquoi s'encombrer, voire se casser la tête avec des réflexions sur les causes et effets des structures sociales, des innovations techniques, des jeux politiques, des héritages culturels, des histoires de famille, des interdépendances économiques, des variations écologiques, des interactions entre lithosphère et atmosphère, etc. etc., alors qu'il suffit de s'affranchir de toutes ces conditions, d'une manière telle que même les contes de fées les plus lénifiants n'oseraient proposer.

Par exemple : « Depuis près de dix ans, les livres d’Elizabeth Gilbert, auteur du best-seller Mange, prie, aime, inspirent ses lecteurs. Avec Comme par magie, elle puise dans son propre processus de création pour partager son point de vue unique sur la créativité. Elle nous invite à découvrir les « trésors cachés » qui sommeillent en chacun de nous et à les mettre en pratique pour être créatif au quotidien (dans la famille, la vie professionnelle, l’amitié, les loisirs, etc.). En exposant les six forces qui permettent de libérer notre propre créativité (courage, enchantement, permission, persistance, confiance et divinité), elle nous ouvre les portes d'un monde de merveille et de joie. » (Amazon) No comment !

5. Décryptage (des personnalités, des événements)

Une crypte est un caveau souterrain, situé le plus souvent dans une église, abritant des sépultures ou des reliques de saints ou autres personnages représentatifs d'une confession donnée. Par dérivation, un message crypté est un texte dont le sens est caché par substitution de lettres et/ou chiffres à d'autres lettres et chiffres. Le décryptage consiste à reconstituer le texte initial sans être en possession de la méthode de cryptage. Par exemple, le plus simple, remplacer une lettre de l'alphabet par la suivante. Ou ne lire qu'une lettre sur deux.

On parle aussi de crypte en psychanalyse (Maria Torok et Nicholas Abraham) à propos des secrets de famille enfouis et qui se transmettent, inconsciemment, de génération en génération. En ce cas, ce dont on souffre, sans le savoir, c'est d'une souffrance que nos ascendants ont vécu sans pouvoir en parler.

Tous ces cas n'ont rien à voir avec le prétendu « décryptage » auquel se livreraient des journalistes ou des « experts » à propos d'une prise de parole publique d'un personnage politique ou à propos d'un événements ou incident qui n'est pas d'une grande clarté. Ce qui est de la simple paraphrase ou un commentaire, judicieux ou non, de ces paroles et/ou événements, est pris pour une analyse profonde (sociologique, économique, philosophique), qui n'existe pas ! C'est abuser de la crédulité des lecteurs ou auditeurs ou spectateurs.


6. Dégraissage

Un terme fort déplaisant, hors de son sens originel, car il signifie qu'une partie du personnel d'une entreprise est comme une graisse dont il faut se débarrasser. Ce qui a lieu par dissolution (emploi d'un solvant), par transformation en savon ou en émulsion. Ces opérations détruisent la graisse. Pour une entreprise, c'est un nettoyage ; pour le personnel « dégraissé » c'est une destruction ou au moins une atteinte à l'intégrité de la personne.


7. Demandeur d’emploi

Encore une belle litote ! Si on veut, après perte d'un emploi, recevoir des allocations de chômage, on doit manifester qu'on ne désire rien de plus que de retrouver un emploi. On n'est donc pas chômeur, ce terme qui rappelle le chômage volontaire (l'inactivité) durant les jours fériés. Et qui fut longtemps le « repos durant la chaleur » (caumare). Le « chômeur » est quelqu'un qui n'a pas envie de travailler, et qui ne se remettra à travailler que contraint et forcé. Le demandeur d'emploi, lui, n'attend que le moment où il travaillera à nouveau. Bref, il ne chôme pas. On ne devrait même plus parler d'allocations chômage. Nous sommes tous des « demandeurs d'emploi ».


46. Démocratie (vs régime autoritaire)


C’est une formule magique. Avec la démocratie, on est libres, égaux, solidaires, tolérants, respectueux des choix d’autrui (religieux, sexuels, politiques, économiques, etc.). Peu importe si dans les pays démocratiques, on connaît des écarts de richesses, des violences, de l’endoctrinement, de la ségrégation rampante ou ouverte, des inégalités de classe, de race, de sexe. Ces méfaits ne sont rien à côté du régime de terreur que subissent ceux qui habitent dans les pays autoritaires (mot employé à contre-sens, voir « Autorité »), totalitaires, dictatoriaux, tyranniques et despotiques (je dois en oublier). En oubliant complètement que la « démocratie » n’est ni plus ni moins qu’un mode de gouvernement, une sorte de pouvoir (celui du peuple), mais ne préjuge en rien des buts d’une société. La « plus grande démocratie du monde » les États-Unis d’Amérique est toujours aussi colonialiste, tente d’imposer sa culture au monde entier, se croit élue de Dieu (chrétien), est armée comme aucun autre pays (89% des habitants ont au moins une arme à feu ; en France : 15% ; en Chine 5% ; en Pologne 1,3%)


47. Désamour

On ne cesse pas d'aimer, on ne déteste pas, on n'est pas haineux, on « désaime ». Il s'agit du "refroidissement de la relation entre deux personnes". Est-ce comme le désespoir ? Ou la désobligeance ? Ou la désintégration ? Ou la déshérence ? Ou la déshydratation ? Ou n'importe quel autre type de dés-union ? "Désaimez-vous les uns les autres comme je vous ai désaimé" : N'est-ce pas satanique ?


8. Disruption

Mot anglais signifiant perturbation, interruption, rupture ; plus rarement dérèglement, dérangement, désordre. Pourquoi est-il employé, en français, dans le sens restreint de rupture ? Parce qu'ainsi il prend un caractère magique, fait entrer dans le monde des superhéros, des audacieux inventeurs, des radicaux, des gens du monde d'après. Il a d'abord été développé chez les publicitaires : « La disruption permet ainsi à une marque de renouveler complètement son image en bousculant les codes d'un marché et en se démarquant de ses concurrents. » Très original ! De là à dire, comme Bernard Stiegler, qu'elle « rend fou » car elle affaiblit le lien social, les institutions, la culture, etc., est lui faire trop d'honneur. Les véritables ruptures techniques n'ont que rarement des effets sociaux immédiats : l'imprimerie n'a pas changé les pratiques de lecture avant quelques siècles ; le laser ou lumière cohérente, conçu dès 1917, a été créé en 1953, a trouvé des applications industrielles dans les années 1960, et s'est popularisé comme laserdisc (disque compact) en 1982. C'est sans faire de bruit qu'il s'est répandu en ophtalmologie, en urologie et autres domaines médicaux. Est-il disruptif ? Sûrement plus que les changements de la mode vestimentaire.


9. Diversité (issu de la)

Encore un euphémisme. De surcroit fort clivant, alors qu'il se prétend englobant et unifiant. « Diversité » veut dire « diversité d'origine » ou de culture ou de religion ou de « couleur ». Ceux qui en sont issus sont supposés y échapper, par une « issue » ou une autre : diplômes, « décoloration », camouflage des ascendances « étrangères », survalorisation du pays, de la langue, des mœurs du pays accueillant. C'est plutôt stupide car tout le monde est issu de la diversité génétique, et il n'existe pas de caractères génétiques propres à une sous-espèce d'êtres humains. C'est encore plus stupide s'il s'agit de distinguer : Français de souche (qui n'existe pas), enfant de parents immigrants, adultes ou enfants présentant des signes de reconnaissance d'une « origine » différente (nom, langue, physique, manière de s'habiller), car n'importe qui peut élire n'importe quoi comme facteur de diversité. Cependant ce qui se dissimule habituellement est un racisme anti-noirs et anti-magrébins : « Bruxelles, capitale et région parmi les plus cosmopolites d’Europe, a un ministre d’origine turque et une autre issue de l’immigration marocaine. » (Le Figaro, 21/07/2008) ; « Ce 18 janvier, les deux femmes font face à une quinzaine d’élèves du lycée professionnel Moulin-Fondu à Noisy-le-Sec. Des filles âgées de 14 ans à 17 ans, la plupart “issues de la diversité”, c’est-à-dire originaires d’Afrique noire ou d’Afrique du Nord, qui suivent un cursus de secrétariat ». (Le Monde, 09/02/2008)" (Extraits de : Chiara Molinari, Issu de la diversité : une formule aux contours polémiques, Repères, 2014). On peut lire encore, le 6 décembre 2020 : « Le gouvernement a dévoilé une première liste de personnalités issues de la diversité pour renommer des rues, ou pour ériger des statues en leur mémoire » (France-Info, 13h28). Cela n'a l'air d'émouvoir personne !



10. Djihad, djihadiste

Définition : effort. Pour les musulmans, en général, c'est fournir un effort pour suivre la voie indiquée par Dieu. Il est question de conduite vertueuse. C'est l'équivalent des devoirs des chrétiens, des prescriptions des juifs, etc. Cela n'implique en rien la guerre au sens militaire ou encore moins terroriste. Nommer « djihadiste » un combattant musulman qui a recours à des attentats terroristes ou une organisation sectaire qui veut éliminer tous les infidèles (y compris musulmans) est une manière de disqualifier et de diaboliser tout musulman qui ose affirmer sa religion. C'est comme si on disait que tout chrétien pratiquant était un tueur potentiel, éventuellement un esclavagiste, un violeur, etc. Il existe des tueurs, violeurs, esclavagistes... chrétiens (ou autres), cela ne signifie pas qu'ils font l'effort de suivre la voie divine (djihad). Traiter les gens de « djihadiste » est à la fois stupide et injurieux.


11. Doudou (anciennement ours, lapin, etc.)

Quand j'étais enfant j'avais, comme tous les enfants (?) un ours en peluche, que j'ai gardé, autant que je m'en souvienne, jusqu'à 6 ans. Il me semble même qu'il était encore présent ensuite, mais que je m'en désintéressais, tout en évitant de le jeter. Je ne me souviens pas de ce qu'étaient mes relations avec cet ours en peluche, que j'appelais sans doute "mon nounours", mais bien qu'il fût présent, personne n'en faisait grand cas. En tous cas, il n'était pas encore devenu un objet transitionnel (partiel, faut-il ajouter, même si on n'a jamais lu une ligne de Winnicott - qui doit peut-être sa célébrité au fait que son nom commence comme celui de Winnie the Pooh), alors qu'il est considéré, par tout parent normalement constitué, que priver un enfant de son doudou est un acte criminel, même s'il n'est pas intentionnel. Même si l'ours en peluche continue à exister, le doudou peut prendre des formes variées, du bout de tissu doux au lapin, voire à la poupée richement parée. Le plus curieux est que le doudou est devenu l'objet d'un culte et, par suite (ou à cause de) un objet commercial important : rayons entiers de magasins de jouets (doudou naissance, doudou sensoriel, doudou câlin, doudou complice, doudou demoiselle - entre 20 et 100 €), vente de doudous d'occasion, cliniques pour doudou. Il y a même des doudous qui ont des doudous ! Depuis peu, le lapin a remplacé l'ours (ouf ! j'aime autant les lapins que les ours).

8 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

1. Acteur (social, économique) Au sens le plus ancien, celui qui accomplit une action, qui ne reste pas passif face à une situation à choix multiples (au moins deux choix). Devenu ensuite l’acteur

1. « Bien évidemment » (voir évidemment) En particulier sur les chaînes TV, le mot « évidemment » (ou « bien évidemment ») est prononcé toutes les deux ou trois phrases. Concurremment avec « notam