Lettre I

1. Idéologie (opposé à pragmatisme)

Dictionnaire Larousse : « Système spéculatif vague et nébuleux. »

Dans un lointain passé (avant 2000), on parlait d'idéologie pour signifier une manière de penser ayant un minimum de cohésion et couvrant tout ou partie des aspects de la vie d'une société. Karl Marx écrivit un livre sur L'idéologie allemande, pour montrer qu'elle était une « vision du monde » reposant sur des pratiques de classe (dominante) et les justifiant. Depuis, l' « idéologie » a été rattachée aux doctrines totalitaires, car elle s'oppose au débat démocratique et à la vérité scientifique (toujours discutable). Dès qu'on veut disqualifier une proposition politique, une orientation technique ou un choix économique, on le taxe d'idéologie. Les gens sérieux, responsables (et éthiques ?) agissent par pragmatisme et non par idéologie : ils connaissent leurs limites, ils sont réalistes (NB : le réalisme n'est pas une idéologie), ils ne racontent pas d'histoire (sauf la leur), ils agissent en fonction des circonstances, ils s'adaptent, etc. En ignorant totalement que le pragmatisme est une idéologie philosophique très développée (en particulier par Charles S. Peirce et John Dewey), qui n'a à peu près rien à voir avec le bon sens pratique des "pragmatiques", et se fonde sur une approche expérimentale de l'action politique ; l'expérimentation s'éloignant de toutes les démarches de bon sens, prônées par les "pragmatiques". Et je ne parle même pas de la pragmatique, qui consiste à étudier les usagers et es usages du langage...

2. Incarnation. Dans le vocabulaire religieux, c’est la manifestation d’un dieu (ou de Dieu), par essence imperceptible, sous forme humaine, animale, astrale (soleil, lune). Dans le vocabulaire politique c’est devenu la figuration d’une idée (une femme aux yeux bandés incarne la Justice), d’un sentiment (le lion incarne le courage). C’est devenu, depuis quelques années, un terme intransitif : « machin manque d’incarnation » ; fort vague, car il remplace : manifestation, expression, symbolisation. On peut lire :

« Le corps de la bonne élève est typique : un corps mécanique, qui récite la parole plus qu'il ne l'incarne, qui n'est pas là pour vivre mais pour transmettre une information. Valérie Pécresse en fait les frais : elle mise sa campagne sur le logos, là où les autres ont bien compris que pour imprégner de la bande passante, il faut une alternance entre émotions (pathos) et mise en scène personnelle du conquérant (l'ethos). Ce dimanche, Jean-Luc Mélenchon a su incarner les deux. » (Élodie Laye Mielczareck, sémiolinguiste, « Quelle incarnation pour les femmes en politique ? » FigaroVox, 15 02 2022) Difficile de faire mieux en matière de galimatias insensé (en particulier les mots soulignés)

3. Incertitude-et-complexité (en un seul mot) : un peu désuet, il ne reste plus que la complexité, car l'incertitude n'a plus bonne presse. D'ailleurs même la complexité est passée de mode ; on dit à tout bout de champ et pour n'importe quoi : « c'est compliqué » (voir « compliqué »)

4. Intersectionnalité

Pour les inventeurs de ce monstre linguistique et ce non-concept sociologique ou anthropologique, les divers modes de domination, au sein de l’espèce humaine, sont le produit d’un seul et même défaut : être blanc, mâle (genre), hétérosexuel affirmé et… tout ce qu’on voudra accrocher d’autre à ce train qui ne circule que sur une seule voie, pour toujours. Par exemple « possesseur de tous ses membres et organes » par rapport aux « handicapés ».

« La force de l’intersectionnalité est justement d’être suffisamment vague pour pouvoir rassembler deux des plus importants courants du féminisme contemporain qui composent, quoique différemment, avec la différence : la théorie féministe noire et la pensée féministe postmoderne/poststructuraliste » (Davis 2008 : 70-71).

Nettement plus vague que la théorie des champs et habitus de Pierre Bourdieu, que tous ces gens-là ignorent, préférant se référer à des auteurs nébuleux comme Jacques Derrida. Ils parlent, par exemple, de « matrice de la domination ».

Le plus réducteur dans cette prétendue complexification des « paradigmes » de la recherche/militance (car pour eux la science est militante ou n’est pas), est qu’il n’y est question que d’une dimension de la vie sociale : identités et différences.